Entre l’image d’Épinal du notable, la réforme de la justice et la Legaltech, la profession d’avocat évolue, comme les autres. Ou peut-être un peu plus…

Nous avons interrogé Me Sabine Raby, résidente au Centre d’Affaires Amadeus, dont le domaine de compétences principal est le droit de la famille et des personnes, pour en savoir plus sur ce métier en pleine mutation.

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce métier et qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez prêté serment ?

En fait, je suis arrivée assez tard dans l’avocature par rapport à mes confrères. J’ai été salariée avant, mais comme je suis titulaire d’un doctorat en droit privé, j’ai toujours travaillé dans les métiers du droit.  

Dans mon dernier poste, clerc d’avocat dans un cabinet d’avocat, je faisais tout sauf la plaidoirie. Alors, je me suis dit pourquoi ne pas reprendre mes études et passer mon CAPA*. J’avais réussi le concours d’entrée à la formation d’avocat, alors étudiante, et il était toujours valable.

J’ai donc prêté serment il y a 6 ans.

J’ai vécu cela comme un aboutissement mais j’ai aussi éprouvé un certain regret de ne pas l’avoir fait plus tôt.

 

Vous exercez en droit de la famille mais aussi dans le contentieux depuis plusieurs années. Avez-vous remarqué des évolutions particulières ces dernières années, aussi bien chez les particuliers que chez les professionnels ?

Oui, la profession est de plus en plus déconsidérée, un peu comme l’instituteur.

Certaines personnes n’hésitent pas à m’envoyer des SMS ou m’appeler par mon prénom. Il y a de plus en plus de personnes qui veulent négocier les honoraires ou font des comparatifs d’avocats pour obtenir le meilleur rapport qualité/prix.

C’est un peu déroutant.

Nous avons aussi parfois de grandes difficultés à nous faire payer : beaucoup de gens ont encore l’image du notable qui n’a pas besoin de ses honoraires pour vivre.

En ce qui concerne la majorité des cas que je traite, c’est-à-dire des divorces, on retrouve souvent les mêmes histoires. Je constate une augmentation du nombre de divorces mais pas d’évolution majeure, tout au plus une capture d’écran Facebook de temps à autre.

 

On parle souvent de la façon dont internet et la transition numérique impactent tous les métiers. Vous venez d’évoquer les captures d’écran Facebook. Que pensez-vous des legaltech, ces startups dans le domaine juridique, comme Call a Lawyer, une appli qui facilite et démocratise l’accès aux conseils d’un avocat, ou des plateformes comme Fast Arbitre, Juripay ou Mesindemnite.com ? Pensez-vous un jour proposer vos services via ce type de plateforme ou d’application mobile ?[

Je ne les connais pas et je ne m’en sers pas. Il est indéniable qu’Internet est une des clés pour développer sa clientèle. Mais en ce qui me concerne, je ne maîtrise pas très bien le web, je manque de temps pour approfondir le sujet, et, j’admets, je suis un peu frileuse.

Peut-être qu’un jour j’y viendrais, mais pour l’instant j’attends de voir comment ça se passe.

Toujours est-il qu’il est souhaitable que ces nouveaux outils soient développés par des personnes de la profession, cela garantit un meilleur respect de nos règles de déontologie.

En tout cas, je suis favorable à ce que notre profession évolue. Par exemple, nous pouvons, sous certaines conditions, faire de la publicité. Moi-même, j’ai pris des dispositions pour favoriser ma visibilité sur internet.

 

Certaines personnes pensent que les frais d’avocat sont trop élevés ou injustifiés, et qu’après tout, en glanant quelques informations sur une plateforme d’aide juridique, ils pourront très bien se représenter tout seuls. Dans quel cas ont-ils tort selon vous ?

Ce sera très compliqué pour eux de s’y retrouver et c’est normal : c’est un métier.

Exemple : lorsqu’une personne demande la révision d’une pension alimentaire, si elle n’est pas bien conseillée, elle ne saura pas qu’il faut demander que cette augmentation soit effective à partir du dépôt de la demande, car il peut s’écouler plusieurs mois entre le dépôt de la demande et l’audience devant le juge.

Le contentieux de la construction quant à lui est un domaine très technique et la présence d’un avocat est obligatoire dans les procédures devant le Tribunal de grande instance.

 

Vendredi 30 mars 2018 a été organisée une journée « Justice morte » en réaction à la réforme de la justice présentée par le premier ministre et la garde des sceaux, Nicole Belloubet, à Reims le 9 mars dernier. L’assemblée générale du Conseil national des barreaux (CNB) parle d’un texte « attentatoire aux libertés individuelles » et une « privatisation de la justice »**. Sans rentrer dans un débat technique, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots les raisons de la colère de votre profession ?

Tout ce que je peux dire c’est qu’il y a des points de la réforme qui sont extrêmement défavorables aux justiciables comme aux avocats et j’approuve mes confrères grévistes.

La réforme de l’aide juridictionnelle [prise en charge d’honoraires par l’état pour les personnes en grande difficulté] prévoit l’automatisation complète de ce dispositif : or tout ne se règle pas en ligne.

Les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats, ou CARPA, actuellement gérées par l’ordre des avocats, et dont les intérêts permettaient, notamment de financer un certain nombre d’actions ne vont plus être créditées de cette aide juridictionnelle et, à terme, devraient disparaître.

Je ne suis pas hostile aux réformes, au contraire, mais il faut associer davantage les avocats dans les décisions

 

Comment voyez-vous l’évolution de votre métier d’ici 15, 20 ans, qu’est-ce qui vous inquiète et qu’est-ce qui au contraire vous enthousiasme ?

Au barreau d’Aix, j’observe que nous sommes de plus en plus nombreux : il devient difficile de se faire une place.

Il y a un vrai contraste entre la réalité et l’image fantasmée de l’avocat qui gagne beaucoup d’argent : le droit des affaires par exemple peut être un créneau rémunérateur, mais ce n’est pas le cas de tous les autres domaines.

Les gens ne le savent pas, mais la retraite de base d’un avocat s’élève à 1 300€ brut/mois et il devient difficile de se payer une retraite complémentaire comme auparavant, pour certains d’entre nous.

 

Sans transition et pour terminer, qu’est-ce qui vous a menée ici, au cœur d’Aix-en-Provence et pourquoi avoir choisir le Centre Amadeus pour installer votre cabinet ?

J’habite à proximité du Centre Amadeus et je l’ai découvert complètement par hasard. Ce centre d’affaires est très bien localisé :

  • on est juste à côté des accès autoroutiers, on ne subit pas les bouchons,
  • il est situé juste au-dessus du parking Méjanes, ce qui est très pratique pour mes clients, surtout dans une ville comme Aix-en-Provence,
  • on est également à côté de la Cour d’appel et du Tribunal de grande instance qui se trouvent en centre-ville et sur le boulevard Carnot,
  • c’est très facile d’accès pour se rendre au Jas de Bouffan, où se trouve le tribunal qui traite tous les affaires familiales.

Et pour moi qui travaille seule, j’apprécie de ne pas être isolée.

*Le certificat d’aptitude à la profession d’avocat, ou CAPA, est obtenu à l’issu de la formation d’avocat qui dure 18 mois, suivie dans un des centres régionaux de formation professionnelle d’avocats (CRFPA). Il est nécessaire pour prêter serment.

Pour accéder au métier d’avocat, il faut :

  • dans un premier temps être titulaire d’un Master 1 en droit ou d’un diplôme d’Institut d’Études Politiques
  • suivre une année de préparation dans un Institut d’Études Judiciaires (IEJ)
  • réussir le concours d’entrée d’un CRFPA ou école du Barreau
  • suivre les 18 mois de formation
  • obtenir le CAPA
  • et enfin, prêter serment.

 

** Parmi les mesures annoncées, il y aurait :

  • la création d’un Tribunal criminel pour traiter plus vite les affaires requérant 10 à 20 ans de prison, composé de juges professionnels et non plus de jurés populaires,
  • la possibilité, par décret, de confier certaines affaires à certains tribunaux, certains craignant la création de déserts judiciaires,
  • Un 1er échange prévenu/juge par visioconférence,